Il est un symbole du malaise palpable qui traverse une partie importante des élus locaux. En décidant de mettre fin prématurément à son mandat, après avoir été ciblé par un incendie criminel à son domicile, le maire de Saint-Brevin-les-Pins Yannick Morez est devenu un nouveau témoin d’une réalité statistique inquiétante. Avant lui, combien d’autres maires ont décidé de jeter l’éponge ?
Selon les derniers chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur début avril, 1293 maires ont démissionné depuis les dernières élections du 28 juin 2020, soit environ 3,7 %. Contacté ce 12 mai, le ministère chargé des Collectivités territoriales n’a pas donné de chiffre plus récents. Interpellé au Sénat début avril par le sénateur Franck Menonville (Les Indépendants), le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu précisait néanmoins que le chiffre était comparable en proportion avec la précédente mandature (2014-2020), où 2925 maires au total ont rendu leur écharpe tricolore. En moyenne, sur cette période, 40 édiles ont claqué la porte chaque mois.
Derrière cette apparente stabilité d’une mandature à l’autre, la tendance de fond est à l’augmentation, sur une plus large période. D’abord, il faut rappeler que dans la période 2014-2020, le nombre de départs en cours de mandat a été gonflé par l’application de la loi sur le non-cumul des mandats en 2017. Entre les municipales de 2008 et celle de 2014, le nombre de démissions volontaires s’élevait à seulement 717.
Près de 13 000 élus municipaux ont claqué la porte, selon un dernier décompte de l’AMF
De son côté, l’Association des maires de France (AMF) poursuit son enquête interne, auprès de ses associations départementales. En date du 12 mai, 45 départements sur 104 ont fait remonter au niveau central des données sur l’ampleur des démissions. Selon ce décompte partiel, 513 maires ont quitté leur mairie. Mais l’AMF n’a pas seulement compilé ce qui constitue la partie émergée de l’iceberg. L’association indique que, sur ces 45 départements, 1959 adjoints au maire, ainsi que 9307 conseillers ont également démissionné depuis 2020. Soit un total de 12 648 élus (sur 512 000). Début avril, le président de l’AMF, David Lisnard (LR) considérait que la « cote d’alerte » était atteinte.
Moins médiatique que les démissions de maires ou d’adjoints, les départs de conseillers municipaux n’en sont pas moins problématiques d’un point de vue pratique. « Il y a un nombre limité de conseillers, il n’y a pas de réserve. Cela gêne vraiment dans l’exercice du mandat », nous explique-t-on à l’AMF. Loin d’être uniforme, le mouvement de départs d’édiles peut être localement plus fort en proportion. Ainsi dans l’Allier, l’AMF relève 15 démissions de maires (4,7 % de l’ensemble du département), 66 adjoints et 759 conseillers municipaux. Le Gard fait aussi partie de ces départements particulièrement concernés, avec 14 maires démissionnaires (4 %).
Comment expliquer cet exode municipal ? Les causes sont multiples et se recoupent parfois. S’agissant des violences, la ministre des Collectivités territoriales Dominique Faure va lancer la semaine prochaine, aux côtés du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, un « Centre d’analyse et de lutte des attentes aux élus » pour mieux cartographier et saisir l’ampleur du phénomène des violences. En 2022, 2265 plaintes et signalements pour violences contre des élus ont été enregistrés par le ministère de l’Intérieur. Un bond de 32 % en un an.
Il y a de fortes probabilités pour que ce chiffre actualisé soit sous-évalué. « Beaucoup de maires renoncent à signaler toute forme de violences subies (y compris physique) en raison des conséquences attendues ou représailles », expliquait Martial Foucault, le directeur du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), dans la quatrième enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité, sortie en novembre 2022 à l’occasion du traditionnel congrès annuel de l’AMF. Selon cette publication, les incivilités et violences touchaient 53 % des maires en 2020. L’an dernier, la part était montée à 63 %. L’entourage familial des élus n’est pas épargné, puisque 12 % des maires déclaraient que leurs proches étaient aussi victimes de comportements répréhensibles.
À lire aussi >> Démission du maire de Saint-Brévin : que prévoit la loi pour protéger les élus ?
En examinant les causes des démissions, on s’aperçoit que les raisons personnelles sont souvent mises en avant. Le mandat empiète sur la vie personnelle et c’est ce motif qui a été avancé par 72 % des maires qui ne souhaitaient pas se représenter en 2020. Le phénomène est particulière visible dans les petits villes, moins dans les plus grandes où des élus sont davantage rompus à l’exercice.
Un exercice du mandat qui se complique
Les difficultés dans la vie du mandat se conjuguent bien souvent. Des marges de manœuvre réduites, des « injonctions contradictoires » : ces critiques reviennent régulièrement dans les remontées de terrain et les discours de l’AMF depuis le scrutin municipal de 2020. « C’est le mandat de tous les dangers, avec la réduction des ressources, la crise sanitaire, et maintenant la crise énergétique et l’inflation. Certains se disent : je n’ai pas été élu pour faire de la gestion contrainte. Beaucoup partent à cause de ça », explique-t-on à l’Association des maires de France.
Dans sa volonté d’apporter des réponses aux élus locaux, le ministre chargé des Collectivités locales entend recenser précisément les causes des démissions, « à l’image ce qui sera fait avec le centre d’analyse et de lutte des attentes aux élus », nous précise l’entourage de la ministre Dominique Faure.
Gouvernement et associations d’élus ont désormais rendez-vous pour élaborer des solutions en concertation. Le Sénat, à travers sa mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire, qui a récemment lancé un appel à contribution auprès des élus locaux, apportera lui aussi sa pierre à l’édifice. Mercredi, le maire démissionnaire de Saint-Brévin sera auditionné au Sénat.